
Un article réalisé à partir de la publication "Qu’est-ce que le capital social ?" de Michel Duée, Insee.
En s’intéressant aux liens sociaux, la Commission sur la mesure des performances économiques
et du progrès social inclut à la mesure des conditions d’existence des individus un
aspect qui ne fait pas systématiquement l’objet de statistiques. Pour la Commission, « les liens
sociaux et les normes inhérentes de confiance et de loyauté qui s’y rapportent sont importants
pour la qualité de la vie.
Ces liens sociaux sont parfois englobés dans le concept de capital
social » [Sitglitz, Sen et Fitoussi, 2009, p. 203]. Cette présentation, qui associe liens sociaux,
normes et confiance, et leurs effets en termes de qualité de la vie renvoie directement à
l’approche du politologue américain R. Putnam [1995, 2000].
Qu’est ce que le capital social ?
Selon Putnam, le capital social est l’émanation des contacts réguliers entre les personnes, dans le cadre notamment d’associations volontaires, et a des effets positifs au niveau macro-social ou macro-économique. Cette idée du capital social comme inhérent aux contacts répétés entre les individus est déjà présente chez Coleman [1988]1 auquel Putnam se réfère. Les
deux auteurs divergent cependant en ce qui concerne le niveau auquel « fonctionne » ce capital social : pour Coleman, celui de petites communautés plutôt fermées, pour Putnam, celui de régions, voire de pays.
Ils divergent également en ce qui concerne les mécanismes par lesquels
le capital social se constitue et produit ses effets : pour Coleman, le capital social assure avant tout une fonction de contrôle social. Émanant de la répétition des contacts, il permet l’établissement de relations de confiance, mais aussi la surveillance mutuelle au sein de la communauté ; confiance et/ou surveillance garantissent le respect des règles et des engagements pour le
bénéfice des membres de la communauté. Pour Putnam, les contacts, notamment au sein d’associations volontaires, transforment les individus : le fait d’appartenir à un groupe développerait ainsi au fil du temps le sens du bien commun et de la réciprocité ; et ces dispositions, acquises dans le cadre d’associations spécifiques, se diffuseraient dans toute la société (réciprocité
généralisée).
Sur la base d’un indicateur agrégé, Putnam montre ainsi qu’aux États-Unis, les États à haut niveau de capital social présentent de meilleurs résultats scolaires, un meilleur état de santé de la population, moins de criminalité, moins de fraude et d’évasion fiscale, et que les gens s’y déclarent plus heureux que dans les autres États. Le capital social serait également bénéfique pour les individus, notamment pour leur santé [Putnam, 2000, p. 326].
Cette thèse d’un effet au niveau macro-social ou macro-économique du capital social a été très influente [OCDE, 2001] mais a fait également l’objet de nombreuses critiques : si le rôle économique de la confiance, notamment par son impact sur les coûts de transactions, est connu de longue date, de nombreux auteurs sont plus dubitatifs sur l’amalgame de participation
associative, normes et confiance dans un unique concept de capital social [Arrow, 1999 ; Solow, 1999], sur le sens de la causalité entre réseaux sociaux et confiance, ou sur l’effet indifférencié de toute forme de liens sociaux [Stolle et Rochon, 1998]. Mais quantifier chacune des dimensions, même considérées séparément, ne va pas de soi car il peut y avoir plusieurs indicateurs possibles pour une même dimension, et leur pertinence dépend de la question à laquelle
on cherche à répondre ; c’est le cas notamment pour la mesure de la sociabilité (cf. infra).